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RETOUR A REIMS 

Thomas Ostermeier

Critique

Madeleine Béranger

Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier adapte l’essai sociologique de Didier Eribon « Retour à Reims » au Théâtre de la Ville. Un sujet brûlant d’actualité, malheureusement desservi par une mise en scène qui pêche par trop de didactisme. 

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En 2009, le sociologue et philosophe Didier Eribon publie l’ouvrage auto-analytique Retour à Reims, qui traite à travers son histoire personnelle du transfuge de classe (Edouard Louis s’en inspirera largement notamment dans Pour en finir avec Eddy Bellegueule). Enfant d’ouvriers, Didier Eribon est le premier de sa famille à entreprendre de longues études et donc à sortir de sa classe sociale d’origine. Retour à Reims puise toute sa force dans l’alliage de la forme autobiographique et de la réflexion théorique. Son écriture est simple, directe, sans détour.

 

Qu’en est-il de sa transposition au théâtre ?

 

Dix ans après, le directeur de la Schaubuhne Thomas Ostermeier présente Retour à Reims au Théâtre de la Ville avec une distribution française. Le cadre proposé par Ostermeier est simple : une actrice (Irène Jacob) est engagée par un documentariste (Cédric Eeckhout) pour enregistrer la voix off d’un documentaire sur Didier Eribon dans un studio d’enregistrement (dont le propriétaire est interprété par le rappeur Blade Mc Alimbaye). Nous regardons donc dans la première partie du spectacle les images du documentaire projetées sur le grand écran tandis que l’actrice enregistre la voix-off - le texte de Retour à Reims. Nous suivons Eribon sur les lieux de son enfance, dans les trains, à Paris.

 

Si la mise en abîme proposée par le metteur en scène n’est pas inintéressante, le documentaire est bien trop illustratif et n’apporte strictement rien à ce qui est déjà dans le texte. Les redondances s’enchainent pendant une trentaine de minutes et la voix un peu trop ronronnante d’Irène Jacob plonge le spectateur dans une forme de contemplation passive, qui ne permet pas tellement d’embrasser la réflexion d’Eribon. Soudain, Irène Jacob s’interrompt et le spectacle bascule dans une deuxième partie où l’actrice et le documentariste échangent, débattent sur les coupes du texte et sur le propos d’Eribon.

 

Au delà des faiblesses de la direction d’acteur qui tient plus de la mauvaise série française que du théâtre, la pièce sombre dans le didactisme. Nous pourrions également nous passer de certaines répliques du texte hors de propos qu’Ostermeier a jugé bon de placer parce que c’est, semble-t-il dans l’air du temps : « Désolé, je fais du manspeaking » « Du manspeaking? » « Oui, le manspeaking, ce sont les hommes qui expliquent des choses aux femmes ». Les deux acteurs s’interrogent donc devant des images des gilets jaunes et de Marine Lepen sur l’engagement des artistes face à la montée des extrêmes en France. Débat stérile et explicatif qui n’apporte aucune pierre à l’édifice de la réflexion qu’amène Eribon sur la « guerre sociale », pour reprendre ses propres termes, entre les dominés et les dominants.

 

Hormis certaines choses qui peuvent être intéressantes, la pièce donne l’impression générale d’un grand brassage de vide qui ne mène nulle part, et qui finit presque par desservir le livre initial qui se serait amplement suffit à lui-même. Quand Thomas Ostermeier se pose la question du rôle de l’artiste aujourd’hui à l’heure où la lutte des gilets jaunes continue dans la rue partout en France, nous ne pouvons nous empêcher de penser au fait que cette pièce montée par un des metteurs en scène les plus subventionnés au monde et présentée en plein coeur des Champs Elysées est bien trop éloignée de ce qu’elle dénonce.

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