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EXTRA LIFE
Gisèle Vienne 

Danser sur les ruines du traumatisme 

Madeleine Béranger 

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    La metteuse en scène franco-autrichienne Gisèle Vienne présentait sa dernière création Extra Life à la MC93 à Bobigny dans le cadre du Festival d’Automne 2023. Egalement chorégraphe et marionnettiste, la recherche esthétique de Gisèle Vienne est singulière. Peuplée de mannequins, de marionnettes, en explorant depuis une vingtaine d’années maintenant les troubles, fantasmes et tréfonds indicibles de l’âme humaine. Nous nous souvenons notamment avec émotion de Jerk, interprété avec virtuosité par son compagnon fidèle Jonathan Capdevielle qui se glissait dans la peau d’un tueur en série, mais également de sa pièce chorégraphique aux accents de rave party Crowd, ou encore dernièrement l’Etang, marquant sa première collaboration avec l’actrice Adèle Haenel, à l’affiche d’Extra Life. Si les créations de Gisèle Vienne interrogent, provoquent, et font rarement consensus, il n’en demeure pas moins qu’elles ne laissent jamais indifférent.es les spectateur.ices qui y assistent.

 

  C’est encore le cas pour Extra Life, dans lequel les deux protagonistes interprétés par Adèle Haenel et Théo Livesey incarnent un frère et une soeur rongés par le passé, dans lequel ils ont été tous deux victimes de leur oncle incestueux. La pièce s’ouvre sur un paysage nocturne, embrumé, blafard. Les deux personnages grignotent des chips dans une voiture en écoutant à la radio une émission sur les extra-terrestres. Cette première image, soutenue par la bande sonore électronique de la compositrice de Caterina Barberi nous plonge d’emblée dans une atmosphère sombre, inquiétante, dans laquelle le traumatisme et les fantômes dansent dans les ruines du souvenir. Il faut souligner ici la création lumière d’Yves Godin, qui retranscrit parfaitement l’ambiance glauque à souhait, propre à l’esthétique de Gisèle Vienne.   La première séquence, très justement interprétée par les deux acteur.ices s’étire dans une longue conversation à propos de l’émission radio et de l’inceste dont iels ont été victimes dans leur enfance. On regrettera malgré tout un propos un peu appuyé, presque didactique de cette conversation, au cours de laquelle on nous rappelle notamment les chiffres des victimes d’inceste (certes nécessaire), à la manière d’une campagne de prévention, sans la subtilité à laquelle on pourrait s’attendre de Gisèle Vienne, qui a déjà travaillé autour de ce sujet dans différentes créations, et notamment dans l’Etang.   Puis une troisième interprète/danseuse entre en scène (Katia Petrowick, qui dansait également dans Crowd), représentant le double de Clara, comme un dédoublement de la personnalité de cette dernière. La mise en scène devient plus chorégraphique et esthétique, à grands renforts de lasers (on salue la prouesse technique impressionnante de la lumière), qui malheureusement finit par provoquer une certaine lassitude, un trop plein visuel tentant de masquer une dramaturgie qui se perd dans les méandres de son sujet.

 

   Bien vite, il devient difficile de comprendre tous les enjeux qui se dessinent au plateau : on abuse ici de ralentis corporels pourtant splendides dans Crowd, mais qui ne trouvent pas la même puissance ici, la parole devient confuse, et la scène s’englue progressivement jusqu’à laisser les spectateur.ices sur le bas côté pendant la deuxième heure de spectacle. Vienne propose une expérience radicale de chaos intérieur qui ne parvient pas à impacter sa cible, noyé dans un trop plein d’effets techniques et d’étirements temporels mal dosés. Il devient même compliquer de comprendre réellement ce qui se joue au plateau, notamment lorsque la marionnette représentant l’oncle incestueux est installée sur scène, alors que nous nous contentions de sa présence inquiétante, presque insupportable lorsqu’elle était simplement à l’arrière de la voiture, comme un fantôme du passé.   Par ailleurs, le spectacle ne semble pas beaucoup proposer d’alternatives « positives » à celles et ceux qui ont été victimes d’inceste. Gisèle Vienne déballe le traumatisme sans parvenir à y injecter l’élan vital et précieux de la vie qui continue, de la reconstruction, de la possibilité d’un après. Lorsqu’elle tente de le faire, à la fin du spectacle, lorsque Adèle Haenel marche dans une veste de lumière qui reflète ses sequins dans le théâtre, il est déjà trop tard car l’image parait presque faible en comparaison avec toutes les autres qui se sont enchainées pendant les deux heures précédentes. 

> Spectacle présenté à sa création à la MC93 à Bobigny en décembre 2023


Conception, chorégraphie, mise en scène & scénographie Gisèle Vienne
Créé en collaboration & interprété par Adèle Haenel, Theo Livesey & Ka
tia Petrowick

Musique originale Caterina Barbieri
Création sonore Adrien Michel
Création lumière Yves Godin
Textes Adèle Haenel, Theo Live
sey, Katia Petrowick & Gisèle Vienne

Costumes Gisèle Vienne, Camille Queval & FrenchKissLA
Fabrication de la poupée Etienne Bideau-Rey

Régie plateau Antoine Hordé
Régie son Adrien Michel
Régie lumière Samuel Dosière, Iannis Japiot & Héloïse Evano

Assistante Sophie Demeyer
Direction technique Erik Houllier

Remerciements à Elsa Dorlin, Etienne Hunsinger, Sabrina Lonis, Sandra Lucbert, Romane Rivol, Maya Masse & Anja Röttgerkamp.

Production et diffusion Alma Office Anne-Lise Gobin, Camille Queval & Andrea Kerr
Administration Cloé Haas & Giovanna Rua

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